
LES CAHIERS 96 PAGES
Courte pièce pour quatre acteurs sur le thème de la créativité et de l'intelligence artificielle.
THOMAS : Regarde ce que j'ai trouvé.
MARIE : Qu'est-ce que c'est ?
THOMAS : Je ne sais pas.
MARIE : C'est bizarre. On dirait des gros prospectus.
THOMAS : Oui, mais il n'y a rien d'écrit dedans. Il n’y a que des lignes vides.
MARIE : C'est vrai. Juste sur la couverture, il y a écrit quelque chose. Avec de drôle de lettres. C'est difficile à lire, je trouve.
THOMAS : Moi j'y arrive : cahier de 96 pages.
MARIE : Où est-ce que tu les as découverts ?
THOMAS : C'était dans une vieille bâtisse abandonnée, derrière le terrain vague. Il y avait ça aussi.
(Il sort de sa poche quelques stylos).
MARIE : Qu'est-ce que c'est ?
THOMAS : Je ne sais pas. Mais ça, au bout, ça s'enlève.
MARIE : Fais voir. (Il lui en fait passer un). C'est drôle, le petit bout là, ça laisse des traces sur les doigts.
THOMAS : Ah ça marche peut-être aussi sur le cahier 96 pages.
MARIE : C'est une bonne idée ! Essayons.
THOMAS : Ah oui, ça marche même très bien. Mais à quoi ça peut bien servir ?
MARIE : Je ne sais pas. Peut-être pour faire des traces.
THOMAS : Tu as sûrement raison.
MARIE : Regarde : j'ai écrit cahier 96 pages !
THOMAS : Génial ! On peut marquer des choses alors. C'est incroyable. Comme les ordinateurs !
MARIE : Quand même pas. Quoi que...
THOMAS : C’est drôlement marrant.
MARIE : Tu m'en donnes ?
THOMAS : Bien sûr. Tiens prends des cahiers. Et deux trucs longs aussi.
MARIE : Merci. Je vais bien m'amuser avec ça. Je vais jouer à écrire des idées et des choses.
THOMAS : Moi aussi. On se le montrera, d'accord.
MARIE : Oui.
THOMAS : À bientôt alors.
MARIE : À bientôt.
(Ils sortent).
Marie et sa maman.
MARIE : Regarde, maman, ce que j'ai fait.
SA MÈRE : Mais, qu'est-ce que c'est ?
MARIE : C'est un cahier 96 pages.
SA MÈRE : Ça alors ! C'est extraordinaire ! Où as-tu trouvé ça ?
MARIE : C'est Thomas qui me l'a donné.
SA MÈRE : Oh... c'est vraiment étonnant.
MARIE : Pourquoi ?
SA MÈRE : Ça vient de tellement loin, ces objets.
MARIE : Mais non ! Ça ne vient pas de loin. Thomas l'a trouvé près du terrain vague à côté de chez lui. C’est pas loin du tout !
SA MÈRE : Mais je ne veux pas dire ça. Quand je dis que ça vient de loin, je veux dire que ça vient de loin dans le passé. Tu sais, ton grand-père avait des cahiers comme ça, il m'en a montré quand j'étais enfant.
MARIE : C'est vrai ?
SA MÈRE : Oui. Moi je n'en ai jamais utilisé, mais lui, quand il a appris à écrire, il utilisait des cahiers comme ça.
MARIE : Pourquoi ?
SA MÈRE : C'était comme ça à cette époque. C'était l'usage.
MARIE : Qu'est-ce que ça veut dire, l'usage ?
SA MÈRE : L'usage, c'est la façon dont on fait les choses. Ce sont les habitudes que l'on a. Nous, nous avons perdu l'usage des cahiers et des stylos. Nous avons des tablettes, des ordinateurs, et toutes sortes d’écrans. C’est à l’époque de grand-père, que ça a changé, et qu’on a perdu l’usage du papier et du stylo.
MARIE : Qu'est-ce que c'est un stylo ?
SA MÈRE : C'est pour écrire dans les cahiers.
MARIE : Ah c'est ça !
(Elle sort un stylo de sa poche).
SA MÈRE : Oui exactement !
MARIE : Thomas en a trouvé une grande quantité avec les cahiers. Il m'en a donné aussi !
SA MÈRE : Ça, c'est vraiment incroyable. Où a-t-il trouvé ça ?
MARIE : C'était dans une vieille maison abandonnée, ça doit être pour ça.
SA MÈRE : Oui. Ça devait être une ancienne papeterie ; c'est comme ça qu'on appelait, je crois, du temps de ton grand-père, les magasins où on pouvait acheter des cahiers et des stylos.
MARIE : En tout cas, c'est vraiment quelque chose de merveilleux pour s'amuser. Regarde ce que j'ai fait.
SA MÈRE : Incroyable ! Tu as écrit ! Mais comment as-tu appris ?
MARIE : Et bien, j'ai utilisé la même méthode que sur la tablette. Comme la tablette écrit les choses que l'intelligence artificielle lui dit, moi j'ai écrit dans mon cahier les choses que mon intelligence me disait. Comme ça j'ai commencé une petite histoire.
SA MÈRE : Mais c'est merveilleux ma chérie ! Si ton grand-père te voyait ! Oh je suis émue de voir ça !
MARIE : Pourquoi ? Parce que tu penses à grand-père ?
SA MÈRE : Oui. Mais aussi parce que tu sais, quand quelque chose remonte de très loin dans le passé, avec tous les souvenirs de l'enfance, les bons et les mauvais ensemble, ça fait souvent de grandes émotions.
MARIE : Je comprends, c’est vrai. Peut-être que je vais en parler dans mon histoire.
SA MÈRE : Tu me la liras après ?
MARIE : Bien sûr, maman.
(Elles sortent).
Marie et Thomas.
THOMAS : Marie, tu es là ?
MARIE : Oui.
THOMAS : Tu as joué dans ton cahier ?
MARIE : Oui : j'ai même écrit. C'est comme ça qu'on dit, quand on fait des mots avec le stylo dans un cahier. C'est Maman qui me l'a dit.
THOMAS : Et tu as écrit dans ton cahier alors ?
MARIE : Oui, et toi ?
THOMAS : Moi aussi. Tu veux que je te dise ce que j'ai écrit ?
MARIE : Oui.
THOMAS : Écoute bien. Pendant la pluie, je ne vais pas jouer dehors, pour ne pas mouiller mes chaussures. Alors je reste à la fenêtre, à regarder à l'extérieur. La pluie dessine sur la vitre, et son dessin n'arrête pas de changer. On dirait des larmes, mais moi, ça me fait penser à des chemins qui n'arrêtent pas de passer. On voit à travers, mais en même temps on n’arrive pas à voir. C'est drôle de voir et de ne pas voir en même temps. C'est toujours comme ça avec la pluie.
Je me demande aussi ce que font les oiseaux pendant qu'il pleut. Comment ils s'abritent. Est-ce qu'ils sont mouillés ? Est-ce que leurs nids sont suffisamment protégés pour ne pas qu'ils s'enrhument ? Est-ce qu'ils ne s'ennuient pas un peu, assis dans leur nid toute la journée, à attendre le soleil ? On ne les entend pas chanter, quand il pleut. La pluie doit les gêner... Moi la pluie ne me gêne pas, et je chante à la fenêtre en pensant aux oiseaux silencieux.
Ça te plaît ?
MARIE : Oui, beaucoup ! C'est très joli ce que tu as écrit !
THOMAS : Merci. Et toi, tu veux me le lire ?
MARIE : Pas encore. Quand ce sera fini. J'essaie de faire une histoire, mais c'est difficile. Je n’arrive pas à imaginer la fin. En vérité, je n’ai écrit que le début, pour l’instant...
THOMAS : Tu vas y arriver. Il suffit de commencer, d'avancer..., et après on va trouver toute la suite.
MARIE : Tu as sans doute raison. Tu sais ce que m'a dit maman ?
THOMAS : Non.
MARIE : Elle m'a dit que son père, quand il était enfant, écrivait aussi sur des cahiers 96 pages.
THOMAS : C'est vrai ?
MARIE : Oui. Elle pense que ça vient de là, les cahiers et les stylos que tu as trouvés. C'est de cette époque.
THOMAS : Et elle aussi, elle écrivait dans des cahiers ?
MARIE : Non, elle avait des tablettes et des portables comme maintenant. Il n'y avait plus de cahier, déjà.
THOMAS : Alors maintenant on est revenu comme avant, si on recommence avec les cahiers. En tout cas, moi ça me plaît beaucoup ! C’est un peu comme si on dessinait, les formes que ça fait dans l’écriture.
(Ils se montrent leurs cahiers et regardent leurs écritures).
MARIE : Regarde comme c’est joli, quand on écrit !
THOMAS : Ça fait un peu des figures dans les lettres, même.
MARIE : Oui. Et tu as vu comme la tienne est différente de la mienne ?
THOMAS : C’est vrai. On a chacun une écriture différente. La tienne est plus ronde.
MARIE : Et la tienne est plus... Je ne sais pas comment dire... Un peu comme des animaux qui courent.
THOMAS : C’est drôle, ça... Des animaux dans l’écriture.
MARIE : Regarde, là... On dirait vraiment, non ?
THOMAS : Oui. Et la tienne... On dirait des fleurs... Ou des feuilles, ces formes rondes...
MARIE : Bon, mais le temps, maintenant. Je dois rentrer, je crois.
THOMAS : Moi aussi. Au revoir Marie.
MARIE : Au revoir Thomas.
En classe : Marie, Thomas, et leur professeur, qui est un robot équipé d’une intelligence artificielle qui leur fait la leçon.
THOMAS : Bonjour professeur.
LE ROBOT : Bonjour Thomas.
THOMAS : J'ai écrit une petite histoire. Voulez-vous l'entendre ?
LE ROBOT : Négatif ! Tu n'as pas écrit d'histoire.
THOMAS : Mais si.
MARIE : C'est vrai professeur. Il me l'a même lue.
LE ROBOT : Négatif ! Je n'ai rien détecté sur ta tablette, ni sur ton portable. Tous tes objets sont connectés et je n'ai reçu aucune histoire.
THOMAS : Mais j'ai écrit sur un cahier 96 pages.
LE ROBOT : Questionatif ! Il n'y a pas de cahier 96 pages dans le registre connecté.
THOMAS : Peut-être, mais j'ai quand même écrit une histoire.
LE ROBOT : Donnée inconnue. Donnée inapplicable.
MARIE : C'est pas grave, Lis-la quand même. On verra bien ce qu'il dit.
THOMAS : Quand il pleut, je reste chez moi car je ne veux pas mouiller mes chaussures.
LE ROBOT : La pluie est un phénomène météorologique, consistant en une précipitation d'eau, depuis les masses nuageuses jusqu'à la terre sous l'effet naturel de la gravité. Le volume annuel de précipitation mondiale est estimé à 94 millions de mètres cubes.
MARIE : Attendez professeur, il n'a pas fini son histoire. Vas-y !
THOMAS : Je regarde couler les gouttes de pluie sur la vitre de la fenêtre.
LE ROBOT : Le volume moyen d'une goutte de pluie est estimé dans le système métrique à un vingt millièmes de litre, avec de faibles variations, selon des facteurs extérieurs. Parmi ces facteurs, on compte premièrement...
THOMAS : Professeur ! Je ne peux pas lire mon histoire si vous m'interrompez tout le temps.
LE ROBOT : Questionatif ! Il n'est pas prévu que tu lises des histoires non enregistrées dans la base de données commune du grand serveur.
THOMAS : Mais moi j'ai écrit ma propre histoire !
LE ROBOT : Questionatif ! Il n'existe pas de propre histoire répertoriée dans l'utilitaire principiel commun numérique.
MARIE : Mais il ne comprend vraiment rien, décidément !
LE ROBOT : Négatif ! Affirmatif ! Je comprends toutes les langues répertoriées, soit 5832 langues et dialectes.
MARIEE : C'est pas grave, continue.
THOMAS : Quand il pleut, je me demande si les oiseaux s'ennuient, à se faire mouiller dehors sous la pluie, dans leurs nids perchés sur les arbres...
LE ROBOT : Les arbres constituent la catégorie végétale la plus représentée sur les parties émergées de la terre. On estime leur nombre à plus de 900 millions de milliards...
MARIE : J'ai une idée. Puisqu'il ne comprend vraiment rien, demandons-lui de réciter sa base de données. Et pendant ce temps-là, nous allons nous carapater et aller nous lire nos histoires tranquillement dans la cour.
THOMAS : Génial ! Oui ! Faisons ça !
MARIE : Professeur.
LE ROBOT : Oui. Affirmatif. Oui.
THOMAS : Pouvez-vous nous faire la lecture de la base de données sur les arbres ? MARIE : Depuis le début jusqu'à la fin s'il vous plaît !
LE ROBOT : Affirmatif ! Un arbre est une plante ligneuse terrestre comportant un tronc sur lequel s'insèrent des branches ramifiées portant le feuillage dont l'ensemble forme le houppier, appelé aussi couronne...
MARIE : Allez ! C'est le moment !
(Ils sortent).
Marie et Thomas.
MARIE : On l'a bien eu, hein ?
THOMAS : Oui. C'est bizarre qu'il ne comprenne rien comme ça... Pourtant il sait tellement de choses !
MARIE : C'est peut-être parce que savoir et comprendre, ce n'est pas pareil.
THOMAS : Tu as raison.
MARIE : Lui, il a beaucoup d'informations, et il peut calculer très vite des opérations très compliquées. Mais il n'a pas le cœur pour sentir les choses, alors il ne peut pas comprendre ce qu'on met dans nos cahiers 96 pages. Du coup, il croit que ça n’existe pas.
THOMAS : C'est ça. C'est exactement ça ! À propos, tu as trouvé la fin de ton histoire ?
MARIE : Oui, ça y est. Ça m’est venu hier soir, pendant que j’écoutais mon chat ronronner. Le bruit de ses ronronnements, ça m’a donné l’idée de la fin... C’était un moment magique.
THOMAS : Tu dois beaucoup l’aimer, ton chat ?
MARIE : Énormément !
THOMAS : Alors c’est pour ça. Tu te sentais bien avec lui, tu as eu l’idée de l’histoire. Mais... Euh...
MARIE : Quoi ?
THOMAS : Tu veux bien me la lire, maintenant qu’elle est finie ?
MARIE : D’accord. Maintenant on a tout le temps.
THOMAS : Alors je t'écoute.
MARIE : Voilà... C'est l'histoire de deux enfants qui avaient beaucoup de choses à dire, sur le monde qui les entourait. Un jour, l'un d'eux trouva, dans une vieille bâtisse, un ancien lot de cahiers 96 pages. Alors, Ils décidèrent de faire le meilleur usage de ce grand trésor de papier et d'y écrire toutes les belles choses qu’ils observaient. C’est alors qu’un matin de pluie...
FIN